Suite à un groupe de parole, le sentiment et la réaction d’un pédophile consommateur de la pédopornographie et prédateur virtuel sans contact direct avec les mineurs.
Chère Latifa
Je tenais à m’excuser du ton cru et abrupt que j’ai employé lorsque j’ai pris la parole hier pour raconter mon histoire. J’espère ne pas avoir impacté négativement les différents participants, victimes et pédophiles. Les témoignages des autres m’ont particulièrement remué. Je me suis senti sale en comparaison de l’amour coupable et condamné de B. le documentaliste (en espérant ne pas me tromper de nom). Coupable vis à vis de M., exploité dans son enfance, et dont les photos ont été diffusées, et que j’ai peut être vues. Lâche, face aux deux jeunes qui prennent tôt en main leur problème de consommation de la pédopornographie. Responsable de montrer à S. et à sa mère les monstruosités qui peuvent être commises quand on s’enferme dans son silence, seul. J’ai ressenti le besoin de vomir mon histoire, aussi laide et affreuse que je la perçois. J’y ai rajouté la colère et le désespoir que j’ai cru voir dans le mal-être de la jeune fille assise à côté de toi, et qui est partie assez rapidement.
Je prends conscience qu’il me reste beaucoup de chemin à faire afin de réconcilier mes deux « moi », et d’en parler comme un tout. J’ai essentiellement décrit le processus destructeur que j’ai créé, et qui m’a conduit à devenir un « cyber violeur » en série. Je continue à me dégoûter à un tel niveau que j’ai de la difficulté à exprimer ce que je ressens, l’assimilant à du misérabilisme. Malgré les regards bienveillants qui m’entourent, je n’arrive pas encore à faire grandir le bon en moi.
Je dois apprendre à parler, comme le fait A., de mon « moi » diurne, le père aimant de mes deux enfants. Celui qui a été la béquille de sa mère pendant plusieurs années. Et de la beauté humaine de ma femme qui, malgré les tromperies et les horreurs que j’ai commises, tente de construire avec moi et nos enfants un avenir chaud et lumineux.
Participer à ce groupe de parole m’est bénéfique. Par votre écoute tous et vos témoignages, vous m’aidez à mesurer ma responsabilité, à me remettre en question, à partager mes émotions. Et toi particulièrement, Latifa, ton sourire, tes bras ouverts, et l’amour que tu diffuses m’entrainent vers un horizon empli de lumière.
J’espère ne pas avoir nuit hier, ni aux groupe, ni aux individus, et ne pas t’avoir déçu de m’être exprimé aussi froidement. Par la main que tu me tends, je suis responsable lorsque je participe au groupe, de tendre moi aussi la main aux autres pour les tirer vers le haut. J’espère n’avoir enfoncé personne par la violence de mon discours, ce n’était pas ma volonté.
Je passe par cette lettre pour t’exprimer tout ceci, même si nous devons nous parler au téléphone demain, car je ne sais pas dans quel état de force ou de faiblesse mentale je serai.
Merci un milliard de fois pour tout ce que tu apportes.
R.
Réaction et soutien d’un participant du même groupe de parole. Un pédophile en souffrance par rapport à son insertion inadaptée.
C’est un témoignage poignant que tu apportes, R., et je peux te dire que tu es quelqu’un de bien ! Cela peut te sembler incongru venant d’une personne qui a été condamnée par la justice, mais tu ne mérites pas cette souffrance. Pourquoi dis-tu que tu dois apprendre à parler, alors que tu t’es exprimé avec une grande sincérité au groupe de parole de Latifa, et en aucune façon de manière offusquant ? Il y a des fautes que l’on commet un jour. Mais l’homme (et la femme, ceci pour éviter d’avoir les Femen sur le dos, quoi que…) sans faute n’existe pas. Un ami prêtre m’a dit un jour, alors que j’étais en prison : « L’homme est plus grand que ses actes ».
Tu dois avant tout prendre conscience que tu as une famille qui croit en toi. Une épouse et des enfants. Il n’y a pas deux R., il y en a qu’un seul et si un moment tu reconnais des errances, cela ne peut en aucun cas t’empêcher d’avancer SEREINEMENT dans la vie. Je n’ai senti aucune violence dans ton discours. Moi-même j’ai usé d’arguments qui pouvaient choquer, mais je n’étais certainement pas là pour blesser ni me mentir à moi-même. Le groupe de parole initié par Latifa n’a pas pour finalité l’auto-flagellation. Ce sont des rencontres qui peuvent paraître pour certains « bien-pensants » une insulte au politiquement correct, au même titre que l’obscurantisme amène à bruler les sorcières ou les hérétiques de notre siècle… N. H. m’a écrit, alors que j’étais en détention : « La justice ne peut pas comprendre, car si elle comprenait elle ne pourrait pas juger ». En reprenant cette pensée de Robert Badinter, il me signifiait que la vie n’est pas aussi simple que l’on peut l’espérer. Des circonstances, des aprioris, des convictions sociétales et religieuses amènent à croire juste ce qui ne l’est pas et inversement. Moi qui ai été condamné pour l’une des pires inculpations qui soit, je sais où est la vérité. Je dois pourtant supporter cette condamnation injuste toute ma vie. Chaque jour je crois voir le soleil se lever, mais l’obscurité s’abat au fil des heures qui passent. J’ai froid, je tremble et je pleure. Mes errances à moi m’ont conduit à l’absence totale de discernement et de JUSTICE. Et je n’y peux rien. Je sais que chaque fois que j’essaie d’exprimer la vérité, le mot « déni » résonne par ceux qui jugent ne pas s’être trompés, comme autant de couperets inquisiteurs. Pourtant j’essaie de vivre, et comme tu le dis, R., surtout grâce à Latifa, son œuvre, son courage, sa détermination, ses convictions élaborées pourtant sur ses propres souffrances. Et en ce qui te concerne, par tes proches et ta détermination, ta vie n’est en aucune manière fermée, mais offerte au bonheur. Paul Boese a dit que le pardon n’efface pas le passé, mais élargit l’avenir. Tu l’a donc devant toi, grand ouvert.
Et en passant, sincères amitiés à toutes les personnes que j’ai rencontrées chez Latifa. Toutes en souffrance pour des raisons parfois diamétralement opposées, mais qui ont réussit à faire de cette rencontre improbable un moment d’exemplarité humaniste.
Merci chère Latifa.
B.
Soutien de la part d’une victime participante aux groupes de parole. ( homme)
Cher R.,
Je n’ai ressenti aucune violence dans ton témoignage, ni d’horreur, j’étais juste fier d’appartenir à la même humanité que toi, et pensant que si tous les hommes avaient le même courage que le tien pour mettre à jour leur monstre, celui-ci serait dissous, la part du monstre qui habite chaque homme se nourrissant de l’ombre, son environnement naturel. Donc merci à toi pour ton beau et grand courage. Merci pour ta capacité à observer tes deux « moi » à distance comme un entomologiste, cette distance signifie que tu en es déjà assez libre. Tu traverses une vallée de solitude, mais nous sommes là, en coulisse, pour t’épauler et t’encourager quand tu en ressens la nécessité.
Les victimes (en tout cas les victimes résiliées) n’ont pas besoin d’un discours policé qui les maintiendrait dans leur supposée fragilité. Elles ne veulent surtout pas être prises avec des pincettes. Seule la vérité, aussi crue soit-elle, les intéresse. La vérité, pas pour réparer un préjudice, mais pour la justice. Parce que je crois que toute chose se doit d’être déliée sous peine d’ajouter du mal au mal comme le dit Camus. Je crois que notre vraie nature est solidaire, que nous sommes à la fois les briques et le ciment. Et que les victimes résiliées comme les auteurs résiliés font les meilleurs maçons du monde.
Bien à toi, R., mon frère de larmes.
M.