« Beaucoup de pédophiles sont des enfants qui n’ont pas voulu grandir »

MIEUX COMPRENDRE – Latifa Bennari, fondatrice de l’association L’Ange Bleu, publie un livre riche en témoignages intitulé « Pédophiles, ex-auteurs et victimes ». L’occasion de répondre, pour metronews, à quelques questions que tout le monde se pose. 

Depuis fin mars, les révélations sur des affaires de pédophilie au sein de l’Education nationale se multiplient. Le directeur d’une école de Villefontaine (Isère), déjà condamné pour la possession de fichiers pédopornographiques, a été mis en examen le 25 mars pour viols et agressions sexuelles et révoqué à vie. Début avril, un enseignant dans un collège du Pas-de-Calais a été condamné à 18 mois de prison avec sursis pour possession d’images pédopornographiques et suspendu, tout comme un professeur d’EPS. D’autres cas encore ont été signalés.

Mais au delà des sanctions, comment prévenir ces actes? Et qu’est-ce que la pédophilie, au juste ? Peut-on en « guérir » ? Eléments de réponse avec l’aide de Latifa Bennari, fondatrice de L’Ange Bleu, une association qui vient en aide aux victimes de pédophilie et aux pédophiles eux-même, et qui sort un livre sur le sujet, Pédophiles, ex-auteurs et victimes.

Combien il y a t-il de pédophiles ?
Difficile de connaître le nombre exact de pédophiles. D’une part, parce que le mot pédophile recouvre des réalités bien différentes. Il y a eu 430 viols sur mineurs et viols par ascendant ou personne ayant autorité sanctionnés en 2008. Et en 2006, 4300 enfants victimes de violences sexuelles ont été signalés aux conseils généraux. Mais ces viols et agressions ne sont pas forcément le fait de pédophiles : il peut s’agir d’incestes, de crimes commis par des déséquilibrés, etc. D’autre part, les statistiques données par les ministères sont fondées uniquement sur les cas passés en justice. Or selon Latifa Bennari, « les pédophiles qui ne sont pas passés à l’acte sont nombreux ». « J’ai aidé des milliers de victimes qui n’ont jamais porté plainte. Elles ne font donc pas partie des statistiques », ajoute-t-elle, notant une augmentation très forte des appels ces dernières années par rapport aux débuts de son association, il y a dix-sept ans : « J’ai commencé avec deux à trois appels par semaine, aujourd’hui j’en ai trois ou quatre par jour ».

Existe-t-il un profil type ?
Les pédophiles qui contactent l’Ange bleu ont en moyenne 25 ans, explique Latifa Bennari. Ils sont selon elle « de plus en plus jeunes ». « La majorité est consommatrice de pédopornographie et commence très tôt, dès 16-17 ans. Malgré ce qu’on peut dire sur le contrôle parental, il y a peu de barrières pour empêcher les enfants d’aller sur ces sites », rapporte la présidente. Toutes les classes sociales sont touchées. Il existe quelques rares cas de femmes mais le plus souvent, ces cas ne correspondent pas à une véritable pédophilie, selon Latifa Bennari : « Je n’ai jamais eu un seul appel de femme vraiment accro à la pédophilie ».

Le pédophile est-il forcément un délinquant sexuel ?
Il faut bien distinguer le pédophile qui éprouve une attirance pour les enfants, mais ne passera pas à l’acte, du pédophile qui est déjà passé à l’acte, que l’on appelle alors plutôt « pédosexuel ». Et le pédosexuel, selon Latifa Bennari, n’est pas « en lui-même » un violeur : certains ont des jeux sexuels avec des enfants qu’ils pensent consentants, sans avoir conscience que ce consentement ne peut pas être véritable. Le pédophile peut aussi être « abstinent », s’il choisit volontairement de ne pas rechercher de commerce sexuel avec un enfant, parce qu’il a conscience du mal qu’il ferait. Ou « passif », lorsqu’il n’est pas totalement convaincu du mal qu’il pourrait faire, mais qu’il évite les situations à risque, par peur des sanctions notamment. « Un pédophile n’enfreint pas forcément la loi. Mais il est pédophile car il éprouve des désirs pour les enfants. Comme un hétérosexuel ou un homosexuel qui connaîtrait son orientation mais n’aurait pas encore eu de relations. C’est ce que le pédophile éprouve qui fait de lui un pédophile, et non ses actes » , résume Latifa Bennari.

Comment devient-on pédophile ?
« Beaucoup de pédophiles sont des enfants qui n’ont pas voulu grandir », explique Latifa Bennari dans son livre. Selon le spécialiste en criminalité sexuelle Roland Coutanceau, environ 20 à 30% d’entre eux ont été agressés sexuellement dans leur enfance. Parmi les appels que reçoit Latifa Bennari, un plus grand nombre encore – la majorité – ont été initiés sexuellement par un enfant, un camarade ou un proche, dans ce qui s’apparente à des jeux sexuels, non-violents. Ce plaisir est ensuite mémorisé, et la mémoire du corps reste alors comme « bloquée » à ce stade. « Quelque chose a compliqué le passage vers une sexualité adulte, si bien que certains d’entre eux sont restés sur un érotisme prépubère », résume la spécialiste dans son ouvrage. « On ne choisit pas d’être pédophile. Souvent, les pédophiles sont même les premiers à se poser la question des origines de leurs attirances hors normes. On ne se réveille pas un beau matin, en se disant: ‘Tiens ! Et si aujourd’hui j’allais me mettre à désirer sexuellement les enfants?’. Peu de personnes auraient envie de connaître le sort de paria auquel ces attirances condamnent ».

Est-ce que les pédophiles sont bien pris en charge en France ?
En 2002, moins de 8% des délinquants sexuels incarcérés bénéficiaient d’un suivi socio-judiciaire, selon l’Ange bleu. « Les délinquants sont un peu pris en charge mais les autres, ceux qui ne sont pas passés à l’acte, ne le sont pas du tout. Il y a de grandes lacunes chez les psychologues sur la pédophilie », explique Latifa Bennari. Par ailleurs, « certains professionnels sont encore réticents à l’idée de prendre en charge une personne qui avoue ses penchants pour les enfants », explique un document de l’Ange bleu.

Peut-on guérir de la pédophilie ?
« La pédophilie n’est pas une maladie. Elle se gère, avec beaucoup d’écoute. Mais on ne la soigne pas », affirme Latifa Bennari, qui se donne surtout pour mission de « réduire les fantasmes » des pédophiles, qui les font souffrir et peuvent les faire passer à l’acte. « Nous ne devrions pas laisser les pédophiles livrés à eux-mêmes » . Si on veut convaincre des pédophiles passifs, voire des pédophiles actifs, de faire le choix de l’abstinence, il faut accepter la rencontre et le dialogue. De même, il faut aider les pédophiles abstinents à le rester ».
© 2015, Metronews, Aude Lorriaux – 24 avril 2015