Comment prévenir la pédophilie

9 janvier 2014

Comme Romain, qui nous a accordé son témoignage, les pédophiles « abstinents » sont attirés par les enfants mais luttent contre leurs pulsions. Une association les aide à ne pas franchir la ligne rouge.

Ils fantasment en secret sur les enfants, mais ne les agressent pas. Parfois même ils vivent en couple, ont des rapports sexuels avec des adultes. Ce sont les pédophiles dits « abstinents ». « La formule a le mérite d’être expressive, observe le professeur Roland Coutanceau, psychiatre (1). Dans le champ social, ‘pédophile’ signifie ‘passage à l’acte’. Or certains ne le sont que fantasmatiquement, et ce fantasme est bien plus répandu qu’on ne l’imagine. » Comment font-ils pour ne pas franchir la ligne rouge de l’attouchement ou du viol ? « Leur structure mentale, leurs interdits moraux et leur éducation les en empêchent. » Psychologue clinicienne à Paris, Inès Gauthier en reçoit dans son cabinet. « Plus les pulsions sont verbalisées, moins le risque de passage à l’acte est grand », assure-t-elle.

Alors que les pédophiles condamnés ont droit à un suivi spécifique, les pédophiles abstinents ne bénéficient d’aucune structure préventive, contrairement à ce qui se passe en Allemagne depuis huit ans. Outre-Rhin, le programme baptisé Dunkelfeld (2) propose une aide psychiatrique anonyme et gratuite. En France, l’an dernier, le député UMP Etienne Blanc, auteur d’un rapport sur le suivi des auteurs d’infractions à caractère sexuel, s’est prononcé pour la mise en place d’un numéro vert d’écoute. L’idée n’a pas fait son chemin. « L’essentiel des crédits va dans la répression « , déplore-t-il.
?Seule une association, L’Ange bleu, mène une action à contre-courant. Sa présidente, Latifa Bennari, violée de 5 à 14 ans, est, depuis quinze ans, à l’écoute des pédophiles. Ces derniers font face à des victimes dans des groupes de parole qu’elle organise, sans grands moyens financiers. « La pédophilie est une inclination non choisie, qui fait souffrir les personnes concernées. Il fallait créer un lieu de confiance », dit-elle.

Romain (les prénoms ont été modifiés), 35 ans, père de famille, a été condamné à de la prison avec sursis pour téléchargement de vidéos pédopornographiques. « Ce n’est pas un prédateur sexuel, affirme sa psychologue. Il s’est réfugié dans la pédophilie pour faire face au stress. Les images lui servent de stimulus pour se décontracter, mais il a conscience que c’est tout à fait inadapté. C’est une forme d’addiction. » Romain raconte ici comment il est tombé dans cet engrenage. Témoignage.

« J’ai découvert la sexualité à 10 ans, avec un camarade de mon village. Lui en avait 15. On revenait de la piscine. Dans la 2CV de ma mère, il m’a dit tout bas : ‘En rentrant je vais me masturber.’ Plus tard, il m’a montré comment on faisait. Ca m’a mis en émoi. A la même époque, je suis tombé sur des cassettes vidéo et des revues porno que gardait mon père dans un placard. Au cours de l’été, on s’est masturbés avec mon camarade. Au collège avec les copains, on faisait beaucoup de blagues, de jeux à connotation sexuelle. Ca me stimulait.

J’avais beau avancer en âge, les garçons qui m’attiraient avaient toujours entre 8 et 14 ans. Au lycée, je n’ai eu qu’un flirt d’à peine un mois avec une fille. Etudiant, je ne cherchais pas à sortir avec des filles, ni avec des hommes, d’ailleurs. Seuls les petits garçons me faisaient fantasmer. Je m’étais constitué un trésor de guerre, une mallette dans laquelle j’avais accumulé les récits de mes fantasmes et des photos d’enfants nus, tirés de la revue naturiste « Jeune et naturel », en vente libre à l’époque, car les poses n’étaient pas sexuelles.

J’ai rencontré Sonia (les prénoms ont été modifiés), ma future femme, à la fac. C’est elle qui a voulu sortir avec moi. Sur le coup, j’ai refusé, j’avais peur. J’ai cédé au bout de six mois. A 22 ans, pour la première fois de ma vie, j’avais des relations sexuelles. Je ne pensais plus aux enfants nus. Un soir, j’ai retrouvé Sonia en pleurs. Elle était tombée sur la mallette. Elle ne voulait plus entendre parler de moi. Moi, j’avais trouvé un équilibre avec elle et je ne voulais pas que notre relation s’arrête. Elle a accepté de continuer à condition que j’aille voir un psy. J’ai pris le premier venu dans les pages jaunes. Même s’il m’a permis de faire ressortir l’histoire du garçon qui m’avait initié à la sexualité, je n’ai jamais progressé. Lorsque j’ai mis un terme à la thérapie, il m’a prévenu : « Si vous arrêtez, vous savez que ça peut revenir. »

Je me suis marié avec Sonia en 2003. Notre fille est née dans la foulée. Lors de son tout premier bain, je me disais : « Comment vais-je réagir ? » Tout s’est bien passé. Mais j’avais besoin de voir des images d’enfants nus. Internet a remplacé la mallette. Avec la plateforme de téléchargement eMule, je trouvais tous les films pédopornographiques que je voulais, je savais quels mots-clés taper. Lorsque j’ai appris que j’allais être père d’un garçon, ça a recommencé à me travailler sec. A sa naissance, j’ai plongé dans une période d’addiction. Je me suis mis à télécharger comme un malade. J’attendais que ma femme et les enfants soient couchés. Seul en bas, dans mon bureau, je regardais des vidéos. Une fois que j’avais éjaculé, je me sentais coupable, honteux. Je me disais : »T’es qu’un salaud. » J’effaçais tout. Jusqu’à ce que l’envie me reprenne.

Le 21 mai 2012, à 6h45 du matin, on a sonné à la porte. « Bonjour, c’est la police. » Un policier a pris ma femme à part : « On est là pour des faits de téléchargement de fichiers pédopornographiques. » Là, la vie s’écroule. La garde à vue a duré trente -six heures, j’ai reconnu les faits. On m’a interdit d’entrer en contact avec des mineurs dans le cadre de mon travail, mais j’avais le droit de voir mes enfants.

J’ai repris le chemin du bureau, difficilement. J’ai prévenu mes associés. Ils m’ont demandé de quitter la boîte. J’ai pris une grosse claque. Le procès a eu lieu deux mois plus tard. Le juge m’a reconnu coupable d’importation, de détention et de diffusion d’images pédopornographiques car, avec le logiciel eMule, on partage le contenu de son disque dur avec d’autres internautes. J’ai écopé de dix- huit mois de prison avec sursis, avec obligation de soins. J’ai démissionné, récupéré mes parts et je suis parti. Quand je me suis retrouvé sans rien faire à la maison, avec ma femme, ça a été très dur.

Un chef d’entreprise a fini par me recruter. « Seul Dieu est capable de te juger », m’a-t-il dit. A la maison, ça allait de mieux en mieux. Il y a quand même eu un clash le jour où Sonia a découvert que je regardais des films porno, adultes et hétérosexuels cette fois. Après un an sans rapports, on a recommencé à se faire des câlins. Reprendre une vie intime n’a pas été simple. Cet été, Sonia m’a même lâché : « Je ne suis plus sûre d’être amoureuse. »

On peut vivre avec la pédophilie sans passer à l’acte. Je m’y suis laissé prendre en écrivant mes fantasmes. Ensuite, il y a eu les photos d’enfants nus, puis je suis tombé dans l’engrenage de la pédopornographie. L’étape d’après, ç’aurait pu être le passage à l’acte. Heureusement, une barrière m’en a toujours empêché. Mon exutoire pour ne pas toucher d’enfants, c’était de leur voler des objets, un slip de bain à la plage par exemple. Jamais il ne m’est venu à l’esprit de toucher mon fils. Je l’habille tous les matins, je lui donne le bain, il est nu mais ça ne m’attire pas du tout.

Selon ma nouvelle psy, je n’ai pas le profil d’un homosexuel. J’ai eu un blocage dans mon développement sexuel et je suis resté fixé sur les petits garçons. Je suis en phase de sevrage. Dès que ça va mal, c’est la première chose qui me vient en tête. Grâce à l’association L’Ange bleu, j’ai rencontré d’autres pédophiles abstinents. J’ai eu l’impression d’être moins seul, car j’ai besoin de verbaliser, surtout pas d’enfouir ce qui s’est passé. Je me suis racheté un ordi. Je ne télécharge plus aucune image d’enfant. Mon PC reste clean. »

(1) Auteur de « Blessures de l’intimité » (Editions Odile Jacob, 2010).
(2) Voir « le Monde » du 1er juillet 2013.

© 2014, Le Nouvel Observateur, Bérénice Rocfort-Giovanni – 9 janvier 2014