Affaire Luc Ferry : pourquoi nous ne porterons pas plainte
07 juin 2011
Ce mardi 31 mai nous publions un communiqué (1) dénonçant les déclarations de Luc Ferry dans un contexte innaproprié puisqu’empruntant la tribune d’un plateau de télévision de grande écoute pour colporter ce qu’il faut bien nommer au stade où nous en sommes des« bruits de couloir ».
Nous réitérons aujourd’hui la condamnation de ce procédé qui à notre sens n’a pas grand rapport avec l’exercice de la citoyenneté d’un ancien ministre de l’Education Nationale. Même si déclarés inconsciemment, ces propos en appelent d’une façon ou d’une autre au jugement populaire. Rappelons que de tels jugements avaient eu lieu dans l’Ancien Régime, aussi lui demandons à l’avenir d’éviter ce genre de posture, susceptible de les réanimer.
La prestation de Mr Ferry n’a en effet pas manqué d’occasionner une semaine durante un véritable déferlement médiatique, que nous jugeons propice à s’opposer à la manifestation de la vérité dans ce type d’affaires. Sur un terrain miné par les affaires DSK et Tron, le nombre d’articles de presse, de commentaires, de discussions courantes en faisant mention témoigne d’une agitation teinté d’exaspération. Nous savons le poids de la pression publique sur l’issue de procès similaires en cours pour ne pas nous en inquiéter. Un tel emballement est toujours susceptible de brouiller les pistes dans l’esprit des gens. Cela vaut tant sur le sujet de la pédophilie et des abus sexuels à proprement parler qu’en terme politique pour les déclarations qui nous occupent.
Un phénomène qui – nous le soulignons – tend de plus à négliger des débats d’importance tels que la progression du chômage consécutif à la crise, le réchauffement climatique, et bien d’autres témoignant des mutations accélérées de notre société, desquels la population attend des réponses concrètes. En pareille circonstance, une telle vindicte pourrait bien s’avérer saper dangereusement la confiance de tous en nos institutions.
Dans l’état actuel, les contours de cette affaire demeurent flous. Nous ne disposons en effet d’aucun élément concret pour affirmer avec certitude si les faits évoqués par Mr Ferry ont été commis ou non. Comme nous ne connaissons ni le nom du coupable, ni le visage des victimes potentielles. C’est précisément en raison de la gravité des accusations et de l’incertitude qui plane autour d’elles que nous ne réagirons nullement pour soutenir un camp et condamner l’autre, en nous portant dans l’état actuel partie civile. Notre expérience démontre en effet que toute accusation prise à l’emporte-pièce conduit souvent au drame, et tenons donc à éviter ce risque inutile.
N’aspirant qu’au rétablissement de la vérité dans le cadre d’une justice impartiale, digne et républicaine, nous ne porterons donc pas plainte en tant qu’association de prévention contre la pédophilie dans le cadre de cette affaire, mais réitérons notre soutien envers les autorités judiciaires dans le travail d’investigation qui s’est amorcé au courant de la semaine, et souhaitons sincèrement que leur travail ne soit aucunement entâché de pressions externes, notamment par voies médiatiques. Quelle qu’elle soit, cette vérité recense sur l’heure déjà des victimes, aussi celle-ci se doit d’être rétablie avec raison et discrétion.
Nous soulignons également que l’opportunité médiatique ne pouvait tomber mieux pour intéresser des personnes aux raisonnements manichéiques. Nos principes nous conduisent à condamner ces postures.
En demandant l’ouverture d’une information judiciaire, nous ne tenions nullement à brandir la flamme de telles réductions. Notre démarche vise au contraire à rétablir la justice là où le doute s’est immiscé dans les consciences. Le combat des justes ne se trouve pas toujours là où le pense.
Notre position initiale demeure intacte en ce qui concerne le comportement des personnes qui auraient été « mises au courant de faits criminels » : le contenu de telles déclarations se devaient en premier lieu d’être transmises aux autorités afin de faire toute la lumière sur la réalité des faits. Non pas plusieurs années après, ni sur un plateau de télévision, mais au moment même de leur prise de connaissance. Seules les autorités judiciaires sont en effet habilitées à trancher le vrai du faux dans ce type d’affaire et c’est précisément en leur professionnalisme que nous devrions attribuer notre pleine et entière confiance.
Comprennons enfin que toute dénonciation prise sans recul contribue à contrecarrer d’importantes avancées en matière de protection de l’enfance. La présomption d’innocence ne s’oppose pas à la protection des victimes, elle l’accompagne. Ce fondement du droit est constitutif de notre république, de cet état de droit dont nous jouissons tous. Aussi faut-il en toutes circonstances protéger cet acquis et pour ce, raison garder.
Pour approfondir le sujet et conclure ce présent communiqué, nous renvoyons toute personne intéressée à la lecture du texte (2) rédigé ce vendredi 03 juin sur son blog par Serge Portelli, magistrat et vice-président du Tribunal de Paris, où ces questions sont fort bien expliquées.
Association L’Ange Bleu
Latifa BENNARI, présidente : 06 71 61 60 51
Maître Bouzrou, avocat : 06 72 47 28 48
(1) Lire notre précédent communiqué
(2) http://chroniquedelhumaniteordinaire.blogs.nouvelobs.com/