Surveiller et punir – Prévenir et guérir
Mercredi 1er septembre 2010
Bonjour et bonne rentrée à tous et à toutes.
Une rentrée qui sera probablement marquée par de fortes agitations sociales et politiques compte-tenu des graves régressions qu’impose notre gouvernement aux plus faibles, régressions pour certaines dignes des heures sombres de notre histoire selon notre point de vue. Même si notre association ne combat pas sur ce terrain, l’enjeu est tel que nous ne pouvons pas ne pas nous associer ne serait-ce que moralement, en tant qu’acteur de l’économie solidaire, aux luttes en cours et à venir. Car sur ce terrain là aussi l’avenir de nos enfants est en jeu ! Aussi, à ceux qui luttent, nous témoignons notre pleine solidarité et toute notre reconnaissance.
Nous en profitons pour adresser à ce titre un petit clin d’oeil amical à Serge Portelli pour saremarquable intervention du 16 mai dernier sur le Plateau des Glières
Pour revenir au sujet de notre action, et en guise de devoir de rentrée, nous allons reposer une nouvelle fois la question : « La pédophilie est-elle une perversion ? Comment la soigner ? »
Une question dont la réponse semble ne faire aucun doute pour la majorité et qui pourtant devrait nous interpeller. Notre colaborateur psychanalyste – Jean-Michel Louka (1) – nous en dit un peu plus. Nous vous restituons sa réponse ci-dessous et profitons de l’occasion pour le remercier de la présentation faite de notre action à titre d’illustration et d’hommage :
SURVEILLER ET PUNIR,
PRÉVENIR ET GUÉRIR
Les affaires récentes de pédophilie qui ont humainement et judiciairement défrayées la chronique ne peuvent faire l’impasse sur un fait : la sexualité humaine est un domaine des plus complexes. Loin d’être une simple bio-génitalité, reposant sur des besoins sexuels, génétiquement programmée et visant essentiellement à la reproduction comme chez les animaux, elle est, avant tout, une psycho-sexualité, du fait que l’être humain est un être de langage, du fait, donc, qu’il parle. C’est parce qu’il est un « parlêtre », qu’il est soumis au langage, qu’il a un inconscient. Et cet inconscient perturbe tout d’une supposée génitalité normale, laquelle n’existe pas. C’est donc, chez l’Humain, le désir, qui plus est, le désir en tant qu’inconscient qui va mener la danse de sa sexualité. Le désir inconscient est irreprésentable. Le fantasme est là pour suppléer, supporter ce désir irreprésentable. Et le fantasme, les fantasmes, se mettent en place lors de la lente et cahoteuse construction du « sujet », entraînant la multiple possibilité d’expression des pulsions sexuelles qui réclament, chacune, leur satisfaction. Très tôt.
Ensuite va venir une répression des dites pulsions, pour chacun, pour chacune, une « castration » de certaines pulsions non-admises par et pour la vie collective, afin d’obtenir une vie non-barbare supportable en société. La plupart des sujets va prendre cette voie dite « normale » d’accepter la répression, tout au moins pour l’essentiel, la castration de certaines pulsions, ou expressions des pulsions, des pulsions les plus mortifères pour soi-même et pour autrui, pour l’autre, le partenaire sexuel.
S’il y a trop de répression, culturelle, sociale, émerge un risque de sombrer dans la névrose (hystérie, névrose obsessionnelle, phobie).
S’il n’y en a pas assez, pour une raison ou une autre, se fait jour un autre risque, que le sujet s’installe dans la perversion, dans la pratique d’actes dits pervers (masochisme, sadisme, exhibition, voyeurisme, pédophilie, passages à l’acte incestueux, gérontophilie, rapports sexuels avec les animaux, etc.). Les personnalités pédophiliques ne témoignent d’aucune « anormalité » psychique ou physique particulière, mais seulement sociale, au sens où cette castration des pulsions ne s’est pas accomplie comme il convient pour la vie collective, la rendant acceptable selon ses règles, selon ses normes, selon ses lois. Ce sont souvent des personnalités immatures, fixées à un moment de leur histoire infantile, fascinées par l’enfant ou l’adolescent, parce qu’elles se trouvent et se retrouvent en lui. En fait, on pourrait dire que ces personnalités se mirent dans l’enfant qu’elles tourmentent ou utilisent pour leur plaisir, pour leur jouissance, pour satisfaire leur fantasme (au singulier), fantasme fondamental auquel elles restent comme collées, et qui, parfois, les mène au passage à l’acte répréhensible. Elles sont alors condamnées, si elles sont prises dans les rêts de la police et de la justice.
L’enjeu curatif d’une psychanalyse, en ce domaine, est de tenter (et de réussir!) ce « décollement » qui n’a pu avoir lieu en son temps. Ceci, afin de permettre cette « castration des pulsions », sans laquelle aucune vie ne peut se vivre dans le respect de l’Autre. Mais l’enjeu préventif existe aussi, et c’est sur celui-ci que devrait porter aujourd’hui l’effort collectif de la main tendue d’une société qui ne peut plus se suffire de seulement réprimer, punir. Les pédophiles sont dans une souffrance, généralement indicible, honteuse, même pour les plus accessibles à une demande d’aide qui ne reçoit pas toujours la réponse sociétale escomptée.
Oui, il faut accueillir cette souffrance, si elle le souhaite bien entendu, même si elle semble monstrueuse à beaucoup par ailleurs. Surveiller et punir ne suffisent pas,…il faut aussi accueillir et « traiter » ! C’est ce que fait l’association « L’ANGE BLEU », créé par Latifa Bennari, association qui n’a pas sa pareille car si elle s’occupe des victimes des abus et violences sexuels, incestes, elle accueille également – expérience à ma connaissance unique – les pédophiles que Latifa Bennari appelle « pédophiles abstinents », ces derniers n’étant jamais passés à l’acte, mais restant taraudés par de tenaces fantasmes sexuels concernant les enfants et les adolescents. Pour le praticien qui en a l’expérience, l’histoire infantile est, à chaque fois, à chaque cas, partie prenante. Pas de présent, sans passé, chez l’Homme. Non pas que le passé soit seulement « explicatif », comme l’on dit trop souvent – il peut l’être -, mais, surtout, il est « originaire » de ce que l’on rencontre dans le présent. Et l’on constate que les éléments de la complexité du tableau auquel on se confronte dans le présent, étaient déjà là, lisibles, prêts à se combiner si l’occasion leur en était donnée… Ainsi, dans la plupart des cas, il aurait été plus « facile » de prévenir, d’aider à la « castration des pulsions » par un travail de parole, plutôt que de se retrouver plus tard, aujourd’hui, à tout reprendre de ce chantier des pulsions et d’un sujet qui a toujours cherché son « bon entendeur », mais qui ne l’a jamais rencontré. Lui avait-on même proposé ? C’est à quoi se voue l’association Loi 1901 « L’Ange Bleu », sa présidente et ses collaborateurs, sans subventions d’aucune sorte, mais avec une énergie considérable, depuis de nombreuses années déjà. Qu’il lui soit ici rendu hommage.
Jean-Michel LOUKA
psychanalyste
(1) Jean-Michel Louka est co-fondateur et président de l’association « Ecole Lacanienne de la Salpêtrière », président de l’association Gynepsy, maître de conférence et ancien chercheur au CNRS. Il organise régulièrement à Paris un séminaire public ouvert à tous.
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